L'araignée de Ruth
Pil – 27 Février 2018
Ruth était bien certaine qu’une toute petite araignée s’était installée à l’intérieur de sa tête. Elle sentait parfaitement des contacts ténus lorsque l’animal se déplaçait, sur une cadence à huit temps.
Ces déambulations contre son crâne chatouillaient légèrement. Elle trouvait cela agréable. D’ailleurs, son attention, toute son attention, se tournait vers cette expérience nouvelle.
Elle était heureuse d’abriter une telle locataire… Elle avait un jour entendu une artiste très petite, très vieille et très ridée, parler d’une araignée. Elle le faisait en termes affectueux. Elle racontait son intelligence, sa patience, sa propreté, son utilité et aussi sa fragilité.
Ruth avait bien sûr révélé à Nathan la présence du petit animal. Mais Nathan n’avait pas paru partager ni son intérêt ni son enthousiasme pour l’affaire. Ils avaient tous deux rendu visite à un médecin qui avait prononcé des mots rares et poétiques… Occipital, Pariétal, Suture Squameuse… Scissure de Rolando…
Lorsqu’il avait dit «Granulations Arachnoïdales » Ruth avait dressé l’oreille, s’était sentie un peu concernée. Mais le docteur ne l’avait pas vraiment laissé raconter sa découverte et sa cohabitation. Il avait juste donné l’adresse d’un confrère qui saurait gérer le problème. De quel problème pouvait-il s’agir ? Nathan paraissait triste.
Le deuxième médecin chez qui ils se rendirent sembla à Ruth indifférent malgré les quelques questions qu’il lui posa… Elle y répondit vaguement. Elle n’avait pas très envie de lui dévoiler son jardin secret… Elle se rendait bien compte qu’il voulait déloger sa nouvelle amie. Il lui prescrit de fort jolis médicaments. Elle n’en avala aucun et les enterra dans ses pots de fleur.
Ruth aurait volontiers parlé de son araignée aux gens qu’elle côtoyait. Mais les quelques fois où elle avait tenté de le faire, ceux là même qui discutaient volontiers de chiens, de chats ou de canaris, l’avaient regardée d’un air goguenard. L’un d’entre eux avait évoqué… Une araignée au plafond…
Le temps passait. Parce que cela faisait plaisir à Nathan, elle était retournée voir ce drôle de docteur, au demeurant très gentil, qui s’était finalement bien intéressé à ce qu’elle lui racontait. Il la questionnait sur ses rêves, elle en inventait plein…
Tout allait finalement bien… jusqu’à ces quelques jours où les trottements étaient devenus plus… pressants.
Dans les moments de silence ou de solitude, Ruth imaginait les huit petites pattes poussant de toute leur force son cortex. Elle devinait le corps de l’araignée arque bouté, concentré dans l’effort de fendre son crâne. C’était désagréable.
Et un matin, alors qu’elle était couchée sur le dos, les yeux encore fermés, et se réveillait très doucement, Ruth ressentit nettement une présence sur le drap, près de son visage. L’appréhension rendait ses paupières lourdes, très lourdes. Elle finit tout de même par les soulever. Huit minuscules billes la regardaient… La bête, sur la tête de laquelle elles se trouvaient, eut semble-t-il très peur de ce qu’elle vit. Elle se précipita contre le mur et se mit à galoper vers le haut.
Ruth reconnut le rythme des pas. Son araignée courait maintenant à toute allure sur le plafond, peut-être terrorisée, peut-être ivre de liberté.
Lorsqu’elle stoppa enfin sa course folle à l’aplomb du lit, Ruth comprit avec soulagement que leur complicité durerait encore longtemps.
© 27 Février 2018 Pascale Expilly